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A partir de début janvier à l’Assemblée nationale, puis du mois de mars au Sénat, reprendra la discussion parlementaire sur les projets de réforme des institutions dits « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ». Afin de préparer cette discussion, le sénateur du Tarn, Philippe Bonnecarrère, co-rapporteur de ces textes, a sollicité l’expertise de l’Institut Maurice Hauriou (IMH), laboratoire de recherche de droit public de l’Université Toulouse 1 Capitole, sur la pertinence juridique de 40 propositions de réforme des institutions contenues dans le rapport, publié au mois de janvier 2018, rédigé par le groupe de travail sénatorial présidé par Gérard Larché. A ce titre, une délégation de l’IMH a été auditionnée jeudi 8 novembre par la commission des lois du Sénat et son président Philippe Bas.
Ce rapport est un remarquable travail d’ingénierie constitutionnelle mais qui n’est pas, il est vrai, sans arrière-pensées politiques. Il est un fait que le Sénat n’est au moins pas demandeur d’une telle réforme et au plus réservé vis-à-vis de celle-ci. Ainsi, en élargissant le socle de propositions par rapport aux projets du gouvernement, il s’agit pour le Sénat de se laisser une marge de négociation sans pour autant être hostile au principe d’une réforme institutionnelle.
Cet espace de négociation jouera certainement à propos de la question sensible de la réduction du nombre de parlementaires. Le Sénat a du mal à entendre qu’une telle réduction pourrait permettre un contrôle plus concentré et efficace du Parlement. Dans certains départements, la représentativité des parlementaires n’en serait pas pour autant affectée. Pour ne prendre que l’exemple du département de la Haute-Garonne, leurs habitants se sentiraient-ils moins bien représentés avec 8 députés au lieu de 10 (comme ce fut le cas lors des élections législatives de 1986 à 2007) et 4 sénateurs au lieu de 5 ? Une des raisons premières d’un parlement est d’assurer une représentation politique des diverses sensibilités s’exprimant dans un pays, non d’assurer une photographie de la population. Cependant, il subsiste une vraie difficulté : une réduction de 30 % du nombre de parlementaires induirait pour un nombre non négligeable de départements qui ne soient pas représentés par un député ou un sénateur. On peut donc trouver de bon sens le souci des sénateurs d’imposer une représentation minimale d’un député ou sénateur par département. Il n’est toutefois pas certain qu’ils soient en mesure d’imposer leurs vues dans le mesure où si le projet de loi organique porte sur une diminution concomitante du nombre députés et de sénateurs, il ne peut pas être considéré comme propre au Sénat et peut donc être adopté en dernière lecture par l’Assemblée nationale.
L’essentiel du rapport sénatorial est en fait consacré à deux objectifs. Le premier est de tirer les leçons de la rationalisation du parlementarisme et de procéder ainsi à un rééquilibrage des pouvoirs. Il s’en suit une foison de propositions très techniques relatives, par exemple, au renforcement du pouvoir, notamment d’investigation, des commissions permanentes, au rééquilibrage des obligations du gouvernement et du parlement dans l’exercice de leur droit d’amendement, aux conditions plus encadrées d’engagement de la procédure accélérée, à la règlementation du temps de parole du gouvernement ou au renforcement du contrôle du parlement sur les nominations.
Le deuxième objectif est de prendre en compte l’impératif moderne de la qualité de la loi. Il en est ainsi, par exemple, des propositions de réforme de la procédure des études d’impact afin de renforcer l’information du parlement, du principe de la publicité des avis du Conseil d'Etat en matière législative, de la soumission à l’avis du Conseil d’Etat des amendements du Gouvernement qui prévoient des mesures nouvelles, de l’obligation de prendre des mesures règlementaires d’application des lois et de celle de saisine du Conseil d'Etat en l’absence de publication.
Pour autant, quelle que soit la valeur technique de ces propositions, il est à craindre que l’essentiel ne soit pas là. A l’occasion de toutes les dernières réformes constitutionnelles, comme celle en cours, le pouvoir exécutif fait figure de « grand oublié ». On peut en effet réformer tant que l’on veut le parlement, si l’on ne (re)pense pas la légitimité, la définition et les fonctions du pouvoir exécutif, toute tentative de rééquilibrage des pouvoirs sera vaine. En particulier, les difficultés actuelles viennent du fait que le gouvernement est « coincé » dans une « zone grise constitutionnelle » entre le président de la République et le Parlement. Une véritable réforme tendant à rééquilibrer les pouvoirs passerait ainsi sans doute par une réécriture des articles 5 et 20 de la Constitution sur les pouvoirs respectifs du président de la République et du gouvernement. A cette seule condition là, on sortira de l’ambiguïté dans laquelle est actuellement la Vème République.
Ont contribué à l’expertise de l’IMH, sous la coordination des professeurs Pierre Esplugas-Labatut et Stéphane Mouton, Frédéric Balaguer (doctorant), Xavier Bioy (professeur), Mathieu Carpentier (professeur), Florence Crouzatier-Durand (maître de conférences), Marie Glinel (doctorant), Nathalie Jacquinot (professeur), Julien Marguin (doctorant), Zakia Mestari (doctorant), Maxime Meyer (doctorant), Hiam Mouannès (maître de conférences), Estelle Poizat (doctorant), Rémi Pradalier (doctorant), Benoit Schmaltz (maître de conférences), Julia Schmitz (maître de conférences), Vincent Sempastous (doctorant), Hélène Simonian-Gineste (maître de conférences), Marc Sztulman (docteur), Jean Philippe Suraud (doctorant), Mathieu Touzeil-Divina (professeur), Sébastiaan Van Ouwerkerk (doctorant) et Camille Wandeweghe (doctorant).
Par Pierre Esplugas-Labatut et Stéphane Mouton, Professeurs de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole